POUDRE NOIRE. FREE.FR

Histoire de la poudre noire

Pendant longtemps, la poudre ne fut connue que sous la forme d'un poussier amorphe, brûlant mal et incomplètement, de façon irrégulière, et fusant plutôt que détonant. Sous cet état de pulvérin, il fallait une grande quantité d'explosif pour propulser le projectile avec des pressions irrégulières, faisant tantôt rouler le boulet sur le sol à quelques dizaines de toises de la pièce, tantôt éclater bombarde ou veuglaire. Pour un même calibre et un même poids de projectile, on peut évaluer la charge de poudre noire du XIX e siècle au 20e de celle du XIV e siècle, et ce avec résultats balistiques incomparablement meilleurs.

De siècle en siècle, la fabrication, et par tant la qualité de la poudre noire est toujours allée en s'améliorant, tant par le choix et par le degré de purification des constituants que par l'homogénéité toujours croissante du mélange. Mais le principal progrès fut la granulation de la poudre, qui, laissant des interstices entre chaque grain fit que l'inflammation se propagea avec plus de rapidité et de régularité.

La granulation de la poudre fut probablement découverte au XV e siècle (Conrad Rander, de Schvengau parle de poudre en grains dès 1429). A l'origine, il ne s'agissait que de pulvérin aggloméré en grumeaux ou en boulettes, après avoir été humecté d'eau, vin, vinaigre ou eau-de-vie, au moyen d'une technique manuelle s'apparentant à celle de la fabrication du couscous par les indigènes d'Afrique du Nord. La poudre ainsi agglomérée donnait une plus grande régularité de tir et permettait l'emploi de pièces d'artillerie de très fort calibre comme beaucoup de bombardes en usage, dont le boulet de pierre énorme (on utilisa à cette époque des pièces de plus de cinquante centimètres de calibre), agissait plus par son poids que par la force de percussion imprimée par la poudre.

L'idée de proportionner la grosseur du grain au calibre et à la longueur de canon de l'arme vint très vite. L'idéal étant d'avoir une charge de poudre dont la combustion ait sensiblement la même durée que le trajet du projectile dans le canon. La vitesse de combustion étant inverse de la grosseur des grains, celle-ci devait diminuer avec le calibre et la longueur du tube. Ainsi à notre époque, on voit la poudre noire à gros grains (n° 0) employée dans les canardières de gros calibre à canons longs et pour le tir de certaines armes rayées de gros calibre à balles lourdes, tandis que la poudre extra-fine est réservée pour les revolvers et pistolets dont le canon est court et le calibre faible. Les dernières pièces d'artillerie de gros calibre employant la poudre noire à la fin du XIX e siècle, l'utilisaient comprimée en blocs cubiques ou prismatiques de deux ou trois centimètres de côté, parfois percés de trous pour faciliter l'inflammation.

Au début cependant, le principe de proportionner la grosseur du grain, et par conséquent la vitesse d'inflammation au calibre de l'arme, ne fut pas admis par tous comme une évidence. Au début du xv siècle, SULLY, Grand Maître de l'Artillerie ne voulut employer qu'une seule grosseur de grain, tant pour les canons que pour les mousquets. Cette mesure rétrograde, prise seulement pour faciliter les approvisionnements, ne semble avoir été qu'une intrusion du " garde mites " dans le domaine du balisticien.

De toute façon, au début du XVI e siècle, le principe de la granulation de la poudre, et de la taille des grains proportionnée au calibre de farine destiné à l'emploi était définitivement établi depuis longtemps, et les méthodes de granulation mises au point, tout du moins dans leurs principes pour les siècles à venir.

Le gâteau de poudre formé de pulvérin aggloméré sortant des pilons était concassé et mis en grains au moyen des " guillaumes ", tamis de parchemin sur Iesquels la niasse était pressée par un plateau de bois dur animé d'un mouvement circulaire. Le grain obtenu fut plus tard lissé et comprimé par un passage dans un baril tournant.

Cette méthode, avec quelques modifications de forme des guillaumes fut conservée sans grands changements jusqu'à nos jours. Cependant, à la fin du XVII e siècle, en Angleterre, un autre système, permettant une plus grosse production sur le plan industriel fut mis au point par CONGREVE, ingénieur et officier de la Compagnie des Indes, plus tard Directeur de l'Arsenal de Woolwich, et à qui on doit de nombreuses inventions, dont en particulier la fusée de guerre qui porte son nom. La machine de Congrève, était une sorte de laminoir dont les roues de bronze portaient des dents qui déchiquetaient et réduisaient en grains le gâteau de poudre. Elle resta employée, concurremment avec des guillaumes et leurs modifications directes jusqu'à notre époque,

Les grains ainsi obtenus, étaient anguleux et de formes irrégulières. Après lissage au baril tournant, on les triait au tamis de crin pour les classer en diverses grosseurs.

Parallèlement à cette poudre classique aux grains irréguliers, et qui est la forme la plus courante, universellement connue de la poudre noire, se trouve la poudre à grains ronds, dérivée directement de la poudre roulée à la main du XV siècle.

La poudre à grains ronds, surtout à l'origine, alors que l'on se contentait d'effriter la tuasse de pulvérin aggloméré pour obtenir les grains, avait l'avantage, du fait de son roulage qui se faisait sous une certaine pression, d'avoir chaque grain comprimé et plus homogène, ce qui donnait plus de régularité dans les charges mesurées volumétriquement dans la plupart des cas. De plus, les grains ayant une certaine dureté risquaient moins de s'effriter et de se transformer en poussier. Ce dernier avantage était très important, surtout avec les premières poudres en grains, dont le grain était très friable. Au début du XVIIe siècle, alors que chaque soldat achetait sa poudre individuellement chez le boutiquier du coin, le règlement lui prescrivait de se munir d'un tairais pour tamiser de temps en temps sa poudre et éliminer le poussier, ou pulvérin qui était recueilli et conservé à part pour l'amorçage du bassinet.

La poudre en grains ronds la plus connue est la célèbre poudre suisse, dite "poudre de BERNE ", qui fut considérée longtemps comme la meilleure du monde, surtout pour le tir à balle. Cette poudre, qui doit se fabriquer encore, ou du moins se fabriquait encore très récemment, jouit d'une grande réputation parmi les utilisateurs des lourdes carabines suisses se chargeant par la bouche, utilisées comme armes de stand et par certains chasseurs de montagne. Ces armes d'une précision parfaite ne donnaient paraît-il vraiment leur plein rendement qu'avec cette poudre, affirmation qui semble plausible, la régularité de l'inflammation et de la charge étant des facteurs importants dans le tir de précision à Farine rayée.

Cette poudre de Berne, qui offre l'aspect de grains de caviar ou de petit plomb de chasse, ne semble devoir ses qualités qu'à sa granulation. quoique l'on ait attribué naguère ses vertus à la qualité du salpêtre natif des montagnes de la Suisse. De toute façon, sa formule (salpêtre 76, soufre 10, charbon 14) n'offre rien de bien spécial et est très classique, sensiblement la même que celle de nombreuses poudres noires à grains ordinaires.

Rançon de sa qualité, on reprochait autrefois à la poudre de Berne d'être trop brisante et de détériorer les armes, en particulier les pièces d'artillerie. Ce défaut ne s'explique pas très bien, et est peut être illusoire, les essais faits naguère n'étant pas très scientifiques, et les charges calculées très empiriquement, malgré l'emploi d'appareils de mesure assez astucieux comme le mortier éprouvette.

C'est sans doute pour cette raison, que, hors de Suisse, la poudre en grains ronds, malgré ses qualités, ne supplanta pas les poudres à grains anguleux et irréguliers.

Pourtant, en plus de ses qualités intrinsèques, la poudre en grains ronds avait celle d'une facilité et d'une rapidité surprenante de fabrication, s'accommodant très bien de l'outillage et des méthodes artisanales des XVII e et XVIII e siècles.

Les premières poudres à grains ronds étaient faites en roulant le grain à la main sur un plateau de bois, méthode admissible au XV e siècle pour les gros grains de la poudre à bombardes, dont la fabrication, malgré l'énormité du calibre et des charges employées ne représentait guère que des quantités limitées. Devant la multiplication des armes à feu et l'accroissement nécessaire de la production, les Suisses améliorèrent vite la technique primitive du roulage à la main, en plaçant la poudre dans un sac de tissu, ce qui leur permettait en plus d'une production plus rapide d'obtenir des grains plus fins pour l'usage des armes portatives et en même temps de durcir ceux-ci par la pression.

Le sac utilisé était un sac de toile à fond rond, un peu comme un sac de marin, et assez long. Ce sac était, rempli de poudre à l'état de pulvérin légèrement humide. Suivant la dimension du sac, on travaillait sur une masse de trois à quinze livres de poudre. L'ouvrier roulait le sac sur une table avec la main, en le poussant devant lui, toujours dans le même sens. Au fur et à mesure que les grains se formaient, le volume du sac diminuait, il fallait resserrer le lien de fermeture pour que l'ensemble soit toujours soumis à une pression sensiblement égale. L'opération était assez rapide, et au bout d'une heure environ, la poudre était granulée.

Le roulage de la poudre à la main était le mode de fabrication artisanale, les quantités ainsi fabriquées étant forcément limitées. La consommation de la poudre augmentant, la demande étant toujours croissante, la méthode de fabrication se perfectionna et fit appel aux moyens mécaniques.

Vers le milieu du XVIII e siècle, une machine à rouler la poudre en grains ronds était d'usage courant chez les poudriers suisses. Elle était construite presque entièrement en bois, non seulement pour des raisons de sécurité, mais aussi parce que le bois était le matériau de construction usuel de la plupart des engins mécaniques de cette époque. Naturellement la force motrice provenait de l'eau ou d'un manège de chevaux, les deux principaux moteurs employés alors dans l'industrie.

Cette machine se composait d'un plateau de bois de forme circulaire et de grand diamètre, garni de tasseaux de bois de section demi-circulaire, cloués en étoile suivant les rayons. Au centre de ce plateau, et le traversant se trouvait un arbre vertical en bois, mobile, portant trois ou quatre bras cylindriques perpendiculaires à son axe comme les raies d'une roue. Sur ces bras tournaient librement des bobines de bois de forme allongée, recouvertes d'un sac de futaine (drap mince) aux extrémités de forme arrondie, offrant l'aspect de traversins de lits. Les deux extrémités du sac étant clouées sur les flasques de la bobine. L'ouverture du sac était au milieu, et avait l'aspect d'un entonnoir du même tissu. Le sac était rempli de poudre, non plus à l'état de pulvérin humecté comme dans la méthode manuelle, mais en grains irréguliers, sortant des guillaumes. La fermeture du sac s'effectuait en rabattant l'ouverture entonnoire en l'assujétissant par une cordelette embrassant le sac d'un tour ou deux. On mettait alors le système en mouvement l'arbre en tournant faisait rouler les sacs sur le plateau garni de tasseaux qui les faisait ressauter, à la vitesse d'un homme au pas. L'opération ne durait qu'une demi-heure, et vu le nombre de cas employés simultanérnent, la production était bien plus importante qu'avec le sac de toile à la main.

Les poudres ainsi roulées, que ce soit à la main ou à la machine étaient tamisées pour éliminer le poussier et triées au moyen de cribles, suivant leur grosseur. Les plus gros grains utilisés comme poudre à canon.

Si la réputation de la poudre de Berne a depuis longtemps franchi les frontières, depuis le début du XIX e sicle et l'instauration du monopole de la Régie, elle était inconnue pratiquement en France, sauf par certains chasseurs des Alpes, qui avaient la possibilité de s'en approvisionner en contrebande et ne s'en privaient point.

Cependant notre production nationale a eu elle aussi sa poudre à grains ronds, à gros grains, de la taille d'un petit pois, parfaitement sphériques, mais dont les propriétés balistiques étaient bien éloignées de celles de la poudre suisse. Je veux parler de la poudre à mine.

La poudre à mine, vendue librement avant 1939 par les buralistes de campagne ayant un dépôt de régie, se présentait sous deux formes : soit en gros grains anguleux, noirs et luisants, légèrement plus gros que la poudre à tirer n° 0, soit en grains ronds, gris foncé ou noir mat de la taille d'un petit pois. Théoriquement cette poudre était un explosif de chantier que les carriers de village et les agriculteurs achetaient au poids pour tirer la pierre ou se débarrasser de souches gênantes, et pour cela, elle était vendu quasi franche de droits. Pratiquement si effectivement la plus grande partie de la poudre ainsi vendue servait bien à l'usage auquel elle était destinée, une quantité moindre, mais cependant relativement importante était utilisée pour la chasse, et était la munition de choix de nombreux braconniers à cause de son bas prix, employée le plus souvent avec comme projectile de la grenaille de fonte, ou "plomb de fer ". Au point de vue balistique, les résultats étaient médiocres, la poudre à mine faisant surtout beaucoup de bruit et de fumée, et encrassant terriblement, surtout celle à gros grains que l'on écrasait préalablement avec une bouteille sur une table. Souvent, pour pallier à ce défaut, les utilisateurs l'additionnaient de chlorate de potasse, ce qui améliorait peut-être le rendement, mais en revanche en faisait un explosif assez dangereux, et causa de nombreux accidents.

Une poudre semblable et de formule identique (salpêtre 62, soufre 20, charbon 18), est la " poudre de traite " qui se présentait également sous les deux formes, mais le plus souvent sous la forme en grain ronds. J'ai toujours été persuadé que la différence avec la poudre à mine ne consistait qu'en une question d'étiquette. La poudre de traite était une poudre de qualité inférieure, destinée à servir de monnaie d'échange, ainsi que divers articles dits " de pacotille", dans les transactions commerciales avec les peuplades indigènes, en particulier de l'Afrique. Le mot traite ne s'appliquant pas uniquement au trafic du bois d'ébène (ou manches de pioche"), c'est-à-dire des esclaves, niais à tout commerce d'échange (peaux, bois, gomme, ivoire, etc.) avec les autochtones des pays non civilisés. La poudre de traite, article très apprécié, était la munition des " fusils de traite " , armes à pierre à canon long, généralement d'assez fort calibre, souvent en bois peint en rouge vif, qui conservaient la forme traditionnelle héritée des fusils de boucaniers et qui se fabriquaient encore à Liège, il y a une vingtaine d'années, étant les seules armes tolérées entre les mains des indigènes par certains gouvernements coloniaux. Ces fusils, chargés à la diable, la poudre de traite se mesurant généralement dans le creux de la nain très approximativement, provoquaient souvent de mauvaises surprises à leurs utilisateurs lorsqu'ils employaient la même méthode et chargeaient avec la poudre à tirer véritable, employée par les européens.

La poudre de traite était également connue sur les côtes de France, sous le nom de " graine " ou poudre " de Terre Neuvas ", car les terre-neuviers à voile d'avant 1839, les " banquiers " qui pêchaient aux lignes avec de légères embarcations : les doris, en emportaient une certaine quantité (généralement un baril de soixante kilos), franche de douane, pour " tirer au perrier " par temps de brume, moyen efficace pour signaler sa position aux embarcations égarées. Le perrier, en l'occurrence était souvent une vieille espingole ou une pièce d'artillerie sur chandelier de faible calibre, souvent aussi, ce n'était qu'un vague tube de métal, parfois une boîte d'essieu de charrette, enchassé dans un bloc de bois, ce qui provoqua souvent des accidents. Au retour des Bancs, lorsqu'ils arrivaient en vue des côtes de France, les navires étaient fréquemment hélés par les petits bateaux de pêche côtiers avec qui ils échangeaient de la morue salée et des pièces de vieille ligne contre du poisson frais. S'ils étaient chasseurs, ce qui était fréquent, les pêcheurs ne manquaient pas de quémander de la poudre " Avez-vous de la graine ? Capt'aine " était la phrase courante, et la poudre restant de la campagne passait par-dessus bord, généralement emballée dans des bouteilles, manne gratuite pour les fusils de pêcheurs-chasseurs.

Poudre de Berne et " graine " ont disparu maintenant de la circulation, le peu de poudre noire à mine qui se fabrique encore, 'et pour peu de temps sans doute devant la concurrence des explosifs chloratés est à grains anguleux ou comprimée en cartouches. Il est regrettable pour les amis des armes que personne n'ait songé à garder des échantillons des vieilles poudres. Peut-être est-il encore temps, on trouve encore des vieilles poires à poudre à demi pleines, parfois, mais plus rarement des vieilles boîtes d'origine presque complètes. Il y aurait autant d'intérêt dans cette collection que dans celle des vieilles cartouches, genre peu pratiqué en France, mais très en faveur outre-Atlantique. De toute façon, l'intérêt que présente une arme se trouvant accru si elle est présentée avec ses munitions originelles.

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